TOURNER AVEC ANDRÉ S. LABARTHE
C’est au Fresnoy que je rencontre André.
Il suit alors mon travail et me raconte ses anecdotes de rencontres, de tournages… Nous échangeons sur le cinéma américain et il me conseille sur mon travail. Et parler cinéma avec André S. Labarthe, ce n’est pas rien. Invité par André Bazin à devenir critique aux Cahiers du Cinéma en 56, il prend part à la Nouvelle Vague et joue pour Jean-Luc Godard plusieurs fois, ou encore Jacques Rivette. Vient alors son grand oeuvre : il crée la série documentaire Cinéastes de notre temps, qu’il produit. Avec ce projet, il rencontre les plus grands et partage pendant une cinquantaines années son histoire du cinéma.
Je lui ai d’abord proposé de jouer dans le film Je ne connais pas d’Alice un petit rôle, à l’image de ce qu’il dégageait : chapeau, veste et chemise, un air de gangster des années 50, un parrain américain sorti d’un vieux film noir. Il a accepté, mais la proposition était très humble.
Deux ans plus tard, lorsque le projet de film en relief Puzzle est sélectionné pour être produit par La Géode à l’occasion de ses 25 ans, je repense à lui. Mais cette fois-ci, il aura le rôle principal. Et pour cause : Puzzle est un film sur la mémoire (étant la suite du film Cantor Dust Man, c’est assez logique en même temps). Qui de mieux qu’une encyclopédie du cinéma, qui plus est un peu canaille et séducteur, pour incarner un vieil homme collectionneur de ses souvenirs qui y plonge et rejoint dans ce mouvement deux femmes ?
FILMER EN RELIEF
André m’a confié apprécier être invité sur un tournage de jeunes gens employant de nouvelles technologies, jouant avec les effets spéciaux de post production. Et en effet, c’était l’occasion pour nous de tester une technique alors nouvelle : la stéréoscopie en prise de vue numérique.
Tourner en relief était long et fastidieux…J’étais à la fois enthousiaste de travailler avec la même technologie que James Cameron pour Avatar et dérouté d’avoir l’impression de revenir aux débuts du cinéma. Chaque plan prenait facilement le double du temps pour régler le matériel. Mais s’en occuper au tournage représentait une démarche organique à mon sens beaucoup plus payante que de rendre en relief des plans initialement plats en post production comme le font désormais tous les films américains (sauf James Cameron!).
Difficile, mais ça valait le coup.
Je trouve encore aujourd’hui qu’il y a quelque chose de magique dans les images en relief. Plus encore que l’immersion, j’en aime le modelé et même l’aspect maquette que rendent certains plans larges parfois (en réalité, due à un défaut de stéréoscopie au tournage en général).
Projeter ce film à la Géode a été une expérience incroyable.
C’est drôle, j’aillais la Géode quand j’étais enfant et retrouver cet écran, toujours colossale malgré mon léger changement d’échelle, m’a replongé dans ces souvenirs. Ce symbole du futurisme optimiste des années 80 doté d’un écran hémisphérique « Omnimax » demeure impressionnant malgré la course à la technologie actuelle. Ce fût idéal pour s’immerger toujours plus dans les souvenirs de Romanesco !
Cette aventure collective nous a ensuite amené au Festival de Cannes où nous avons projeté le film au Grand Hôtel au pied du palais, grâce à la foi et à l’énergie incroyable du coproducteur Pierre-Arthur Goulet, mon « partner in crime » (il avait produit Cantor Dust Man).
Pour conclure, ce projet représente à mes yeux une rencontre entre deux époques charnières la nouvelle vague par la personne d’André S. Labarthe et le passage au tout numérique et au relief généralisé par la technologie employée.
Avoir été l’un des premiers à réaliser et produire un film tourné en relief numérique en France a été une chance folle et il me tarde de repartir à l’aventure de nouvelles contrées cinématographiques !