Conversation menée par Violaine Boutet de Monvel au Silencio
Suite à la première de UNCUT et à la mini-rétrospective de mes films au bien nommé Silencio, le club décoré par David Lynch, voici la conversation menée par la critique d’art Violaine Boutet de Monvel autour de mon travail.
L’occasion de revenir sur le film UNCUT mais aussi Je ne connais pas d’Alice.
En effet, UNCUT est né de ce film et en devient désormais un « spin-off », c’est à dire une extension narrative où on retrouve les personnages joués par Pierre Maurice et Aurore Laurent.
LA CONVERSATION
VBDM : Je vais vous saluer et vous dire bonsoir, et surtout vous remercier d’être venus, très nombreux. Je vais introduire sur Uncut, qui fait exactement trois minutes et des poussières. Ça a beau être court, mais ça en est pas moins une mine d’or pour l’imagination. Alors en effet il s’y joue d’abord un véritable hommage, je suis sûre que vous l’avez vu, au cinéma muet, surtout à travers la langue des signes et son sous-titrage, la musique Dixie du jazz classique de la New Orleans du début du 20ème siècle, et puis évidemment le noir et blanc et les cartons de texte, voilà.
Sébastien Loghman : Je me suis dit que c’était un petit peu une scène de ménage entre les talkies et les films muets, d’une certaine manière, là où le corps n’en fait qu’à sa tête…
VBDM : Il se trouve que Uncut, ce film de trois minutes, est finalement un spin-off d’un autre film qui s’appelle Je ne connais pas d’Alice. C’est une scène qui n’avait jamais été montée à l’époque, donc il l’a montée dix ans plus tard.
Sébastien Loghman : L’idée d’un spin-off, pour ceux qui suivent les séries, c’est de faire un dérivé à partir d’une histoire en se concentrant sur un rôle secondaire. Donc là c’est ce qu’il s’est passé avec Uncut où on retrouve d’ailleurs aussi Aurore qui était Alice dans le film Je ne connais pas d’Alice.
VBDM : Oui, c’est peut-être plus visible par tous ceux qui sont familiers avec tout l’univers de l’expanded cinema – le cinéma expérimental, le cinéma élargi qui s’est fait en marge des salles de cinéma, plutôt en musée, en galerie – on peut y voir un second clin d’oeil qui est plus discret mais au cinéma exposé de la fin des années 1990. Je pense notamment à l’Ellipse de Pierre Huyghe, qui est une triple projection vidéo où on voit la traversée d’un pont sur la Seine par l’acteur suisse Bruno Ganz, qui est sensée compléter finalement un film de Wim Wenders qui avait été tourné vingt ans plus tôt, où cet acteur joue le rôle clé mais il se trouve qu’il y a une ellipse dans ce film et on le voit passer d’une scène à l’autre, d’une rive à l’autre de la Seine sans jamais l’avoir vu traverser le pont, tout simplement pour dire qu’en fait c’est un vocabulaire qui a extrêmement nourri l’oeuvre de Sébastien.
Juste pour conclure là-dessus, Uncut c’est évidemment un jeu de mot, à la fois sur le montage en cinéma, mais c’est aussi une poésie émouvante sur l’union du corps et de l’esprit qui se joue à travers le jeu d’acteur de Pierre Maurice.
Sébastien Loghman : Pierre Maurice que j’ai torturé.
Pierre Maurice : Ce qui est le plus compliqué c’est de ne pas savoir où on va quand on est comédien dans les mains de Sébastien, on sait pas trop où on va donc on doit vraiment se… totalement se donner, et il vous prend et il vous met des masques, et il vous rase, il vous met de la pâte verte partout, voilà il joue, en fait c’est lui qui jouait.
Sébastien Loghman : J’espère que tu as quand même passé un moment pas trop désagréable. Les effets spéciaux, c’est pas toujours agréable en fait, mais tu t’en es très bien sorti.
VBDM : Ce film qui est tellement drôle est quand même issu d’un film qui est beaucoup plus sombre, et c’est le plus sombre de la sélection. Il s’agit de Je ne connais pas d’Alice. Aurore Laurent est parmi nous aussi ce soir.
Aurore Laurent : Bonjour.
VBDM : Je ne connais pas d’Alice ça prend la forme d’un parcours initiatique assez étrange dans un hôtel que tu as nommé Protopia. Pierre Maurice, tu joues l’assistant du politicien qui est aussi parmi nous.
Djamal Abdallah : Merci. Bonsoir, bonsoir à tous.
Sébastien Loghman : Djamal Abdallah joue Henri Golem, cet homme politique programmé pour gagner.
Djamal Abdallah : Oui, oui un beau tournage. J’ai eu beaucoup de plaisir à travailler avec Sébastien. Il est très, très précis lorsqu’il nous demande de faire telle chose ou telle chose. Il a une grande sensibilité, très humaine, et ça c’est énorme, avec du respect puis il a une grande inspiration, et ça vraiment c’est très agréable. Voilà.
Sébastien Loghman : Merci.
VBDM : Merci. Un invité ici, Christian Mayeur, m’a fait remarquer que c’était quand même peut-être ton film le plus lynchéen. Ce que ça m’évoque moi immédiatement c’est à la fois Le Sang d’un poète de Jean Cocteau, évidemment, The Shining de Stanley Kubrick, puis aussi tout le cycle Cremaster de Matthew Barney, parce qu’il y avait aussi ces parcours initiatiques et c’est encore une fois un vocabulaire qui a beaucoup nourri l’univers de Sébastien.
Sébastien Loghman : Matthew Barney m’a quand même vachement marqué, parce qu’on commençait à faire des films avec l’ambition technique du cinéma et la liberté de l’art contemporain. On peut étendre comme ça l’univers dans des expositions, présenter des éléments de décor sous forme de sculptures, des photos, des choses comme ça. Moi ça, ça m’a subjugué.
VBDM : Et puis aussi, à la toute fin, la dernière séquence, il y a ce passage sur de la vidéosurveillance où il y a un léger délai, donc on a l’impression que Alice est finalement, depuis tout du long, commandée par un personnage, un adolescent qui a l’air de jouer sur son écran de vidéosurveillance, ou d’ordinateur. On ne sait pas trop.
Sébastien Loghman : Pour moi ce film est né de l’art vidéo bien sûr, des installations; de la vidéosurveillance qui revient parfois; de ma lecture de La Mise en scène de la vie quotidienne du sociologue Erving Goffman.
C’est peut-être une rencontre entre Dan Graham et LucasArts, qui faisait des jeux vidéo d’aventure dans les années 1990, où on dirigeait un personnage dans un plan fixe, on faisait des recherches, résolvait des énigmes, etc.
VBDM : Bon alors évidemment, ça part peut-être de jeux vidéo. Moi ça m’évoque, parce que je viens du monde de l’art contemporain, tout ce qui est l’art vidéo pionnier des années 1970, 1960, avec des installations vidéo qui ne jouaient que sur de la vidéosurveillance, avec du délai, pour perturber l’expérience du spectateur. J’y ai vu ça aussi parce que je sais très bien qu’il le connaît, mais évidemment ça a été transformé dans un univers de fiction, qui est très différent.
Si quelqu’un a envie de poser une question, ou plusieurs personnes, n’hésitez pas. Je crois avoir entendu un semblant de débat, pour revenir à Uncut, est-ce que c’est le corps qui essaie de prendre soin de la tête ou c’est l’inverse ? J’ai pensé que c’était la tête qui essayait de raisonner le corps, mais c’est pas sûr je crois que c’est un petit peu sans fin comme débat.
Christian Mayeur : Oui, enfin moi il me semble qu’il y a un élément central : il est torturé, découpé, virtualisé, magnifié, héroisé, c’est le corps. C’est le corps, la place du corps.
Sébastien Loghman : En fait le corps, c’est une image, donc la face, la façade; et aussi du modelé, une sculpture. Le corps est une interface, voilà. Mais à l’intérieur c’est dégueulasse… Selon le point de vue.
Anne Bergeaud : La manière dont il devient un élément scénaristique, systématiquement, une sorte de clé de voûte qui va organiser l’intrigue, j’aimerais savoir à quel moment commence la réflexion sur, tiens, cet élément du corps on va le transformer.
Sébastien Loghman : Le côté art m’a amené à m’intéresser à la sculpture. C’est vrai qu’au départ, je partais de cette idée de sculpter le corps, de le transformer, de montrer à travers le corps et son modelé. En effet, tout est corps dans un film en prise de vue réelle.
J’ai envie de montrer l’intérieur à l’extérieur. Le but est de montrer la psyché. Le corps exprime ça, par le psychosomatisme, par exemple.
VBDM : Et bien merci beaucoup d’être venus, merci.
Sébastien Loghman : Merci.