Une aventure américaine
En France, j’ai l’idée de tourner un western absurde et épique.
La partie conceptuelle de ce projet est prête avant mon départ aux États-Unis mais il doit être tourné dans un désert américain. Ayant appris à manier la caméra pellicule 16mm Bolex, je décide de tourner en pellicule couleur, que je trouve alors idéale pour une projection en salle de cinéma.
Je prévois de la développer manuellement à la San Francisco Art Institute puisque j’y ai été formé. Certes, le développement manuel de film a été banni des États Unis pour des raisons de sécurité mais allez, vivons dangereusement !
Pour mon projet, je propose à Zach, un camarade de la San Francisco Art Institute, de partir en voiture à la recherche du bon désert.
Nous roulons jusqu’au Nevada, dépassons Reno.
Il fait beau, le ciel est magnifique. La lumière est intense, cela promet d’être parfait sur la pellicule.
Sur le bord de l’autoroute, je repère une belle étendue de terre inhabitée, aux couleurs de mon cliché. Nous sortons donc de l’autoroute pour nous enfoncer dans l’inconnu.
Tout se déroule encore mieux que je ne l’avais prévu.
J’ai le choix entre un décor fidèle à mon projet et un décor encore plus riche.
Après deux heures de préparation et de tournage, nous reprenons la route pour San Francisco.
Le tournage est bouclé, huit heures de route. Je veux voir le résultat. Maintenant. Je suis impatient d’amener le film au laboratoire.
J’ouvre la caméra.
Tout semblait si parfaitement huilé…
La camera ouverte déploie un spectacle qu’un chirurgien des plus qualifiés ne voudrait contempler. Les intestins en plastique plat se répandent dans tout le corps de cette pauvre petite chose et il m’est impossible de les remettre en ordre sans, une bonne fois pour toutes, les couper. J’en casse un bout et tire hors des rouages ce qui aurait été mon film si, en plus de ne pas avoir été chargé correctement lorsque nous étions dans le désert, je ne l’avais pas voilé dans cette action fatale.
Désespéré d’avoir perdu tant d’énergie et d’argent pour quelques photos et un rouleau de plastique noir, je finis par me dire que l’Art serait le dernier recours pour sauver ces restes. Je pourrais le présenter dans une salle d’exposition comme reliques d’un film invisible… Car impossible.
Mais je me dis aussi qu’Art ou pas Art, rentrer en France sans avoir réalisé ce projet serait un échec cuisant.
Quelques mois, quelques projets plus tard, je repense à ce malheureux événement. Je ne peux pas laisser une fatalité emprunte d’un obscur sadisme guider mes succès et mes échecs et choisir pour moi les voies que j’arpenterai.
Je dois profiter de ces derniers jours pour prendre ma revanche.
Cette fois-ci, mon cousin Arian va m’aider.
Ma décision la plus sage est de tourner en numérique. Tant pis pour la sacro-sainte pellicule.
En suivant exactement le même trajet que pour le précèdent voyage avec Zach, une différence flagrante : le temps nous en veut. (j’apprendrai plus tard que la météo du jour était la pire du semestre).
Nous traversons la pluie, une bourrasque de neige au niveau du lac Tahoe, le Fog nous enveloppe de sa blancheur aveuglante…
Je commence à sérieusement m’interroger sur le bien fondé de cette entreprise.
Après une halte à Reno pour nous restaurer, mon projet se fissure de plus en plus clairement et des pans d’espérance s’effondrent.
Mais il faut aller jusqu’au bout.
Nous reprenons la route pour le désert.
Aussi incroyable que cela puisse paraître, une éclaircie…
Au bout de notre route se dessine un endroit lumineux, sans nuages… Un sublime désert.
Là, un groupe de personnes cueillent des fleurs. Ils nous regardent d’un air inquiet, finalement amusé. Ils reprennent avec excitation leur illégal labeur.
Pendant que j’installe la caméra et que j’enfile mon costume, ils s’en vont. Ils ont l’air pressés. Quelle belle attention de leur part de s’éclipser pour nous laisser tourner tranquillement.
Soudain j’entends au loin le bruit d’un moteur qui se rapproche. Je regarde alors derrière moi et s’arrête à notre niveau une camionnette.
Un Ranger.
« -Qu’est-ce que vous faites ? Demande-t-il.
– Bonjour, je suis à la San Francisco Art Institute et nous tournons un film pour le Spring Show, une exposition qui aura lieu à la fin de l’année.
– Quel institut ?
– La San Francisco Art Institute…
– Et vous faites quoi ?
– Je tourne une petite vidéo d’à peu près, disons, 20 sec…
– Vous avez l’autorisation ?
– Ce n’est pas professionnel en fait, c’est pour l’école… C’est juste pour l’exposition de fin d’année, on est venu de San Francisco jusqu’ici pour filmer un désert et cet endroit semble correspondre alors on s’est arrêté…
– Regardez » Il nous tend des prospectus et reprend :
« – Vous voyez, ici, c’est une réserve indienne, et voici les tarifs pour pécher, camper, prendre des photos et filmer.
– Haa… Oui, en effet… Désolé, nous ne savions pas. Est-ce qu’on peut quand même finir ce qu’on a commencé ?
– Je suis désolé mais je ne peux pas vous laisser faire ça, c’est le règlement…. Vous en avez pour combien de temps ?
– Disons 20 min…
– Vous venez de quelle école ?
– San Francisco Art Institute, SFAI, je peux vous montrer ma carte si vous voulez…
– Bon, bon, ça ira. Je vous laisse finir, mais pas plus de 20 min, OK ? La prochaine fois, regardez bien ce prospectus.
– D’accord, merci beaucoup !
– Au passage, vous n’auriez pas vu des gens s’arrêter dans le coin ? Bonne chance pour votre film ! »
Et le ranger disparait dans un vrombissement de mécanique. Enfin seuls.
Quelque chose semble avoir changé… Où est la lumière ?
Allez vite. Je remets en ordre les réglages de la caméra,on tourne !
Quatre heures de route et hop, direct à San Francisco.
Pendant une semaine, je compose la musique, monte et fait le compositiong sur After Effects.
Le Spring Show commence.
8 REVOLUTIONS est projeté dans le Lecture Hall de la San Francisco Art Institue pour Une projection en boucle qui durera 8 heure.
La répétition a du bon parfois.
Voir le dispositif final dans le portfolio :